Vers plus d’inclusion : Peut-on mesurer l’inclusion ?
« Ce qui ne se mesure pas ne progresse pas ».
Mesurer la diversité avec des indicateurs chiffrés est déterminant pour faire progresser l’inclusion en entreprise. Pour cause, elle serait vectrice de performance économique et sociale. L’ex-ministre Elisabeth Moreno et l’entrepreneuse Dominique Crochu, cofondatrice de Mixity, nous racontent les étapes de ce train qui chemine vers une société plus ouverte et plus inclusive. Un train qu’a pris Sanofi depuis quelques années déjà avec une politique diversité et inclusion engagée et qui accélère avec les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 qui se veulent « les plus inclusifs de l’histoire », dont l’entreprise est partenaire.
C’est à l’occasion de cet événement que Sanofi et Usbek & Rica s’associent pour explorer le futur de l’inclusion.
En France, en matière d’inclusion, les entreprises ont encore un long chemin à faire. Selon un rapport Heidrick and Struggles, seules 61% d’entre elles intègrent les sujets de diversité, d’équité et d’inclusion dans leur stratégie, contre 85% des entreprises dans le monde. Un retard qui pourrait être comblé grâce à une prise de conscience grandissante des entreprises, impératif de compétitivité et quête de sens des collaborateurs obligent. Sauf qu’en France, la loi n’autorise pas les statistiques basées sur les origines raciales, sociales ou l’orientation sexuelle. Or, « ce qui ne se mesure pas ne progresse pas », rappelle Elisabeth Moreno, ex-ministre déléguée chargée de l’Égalité femmes-hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances et désormais, dirigeante d’entreprise (elle vient de fonder La Puissance du Lien). Elle vient par ailleurs d’intégrer le Conseil Diversité, Équité et Inclusion de Sanofi.
Encore faudrait-il savoir comment et quoi mesurer. En la matière, la France est l’un des pays d’Europe les plus armés juridiquement. La loi Rixain - promulguée en décembre 2021 - incite fortement les entreprises à renforcer l’égalité femmes-hommes avec notamment, la mise en place d’un quota de 40% de femmes au sein des comités de direction (à atteindre d’ici 2029). Ces contraintes légales s’accompagnent d’une obligation de déclaration et d’emploi des travailleurs en situation de handicap pour toutes les entreprises. Sauf qu’en interne, le mouvement reste encore lent.
J’ai échangé avec beaucoup de chefs d’entreprise convaincus de leur politique d’inclusion et de diversité. Ils sont plus embarrassés lorsqu’on leur demande combien de femmes, combien de personnes aux origines socio-économiques modestes occupent un poste de direction.
Elisabeth Moreno
Ancienne ministre déléguée à l'Égalité entre les femmes et les hommes, à la Diversité et à l'Égalité des chances
D’où l’importance donc de proposer des outils de mesure…
« Mesurez-vous inclusion ? »
Il est bel et bien possible de mesurer, nous explique Dominique Crochu. « J’entends en permanence dire ce qui est interdit, et peu ce qui est possible. Pourtant, le quotidien des possibles est bien plus intéressant ».
Dominique Crochu a été la première femme à occuper un poste de direction à la Fédération Française de Football (FFF). Pendant dix ans, l’entrepreneuse y pilote le numérique (un autre secteur qui souffre d’un cruel manque de diversité). En 2019, elle cofonde, avec Sandrine Charpentier (CEO) et Jérôme Fortineau, Mixity, une solution digitale RH avec une plateforme qui propose des outils de mesure et de pilotage de la diversité et de l’inclusion en entreprise.
« Quand on a commencé, on a constaté qu’il n’existait pas d’outils de mesure. Or, c’est comme au sport, si vous ne mesurez pas, vous ne vous améliorez pas. Vous restez au stade des intentions ». La startup propose donc aux entreprises de faire un état des lieux - « une photographie » - qui se matérialise par une empreinte sociale, diversité et inclusion, soit un score basé sur des indicateurs de genre, handicap, multi-culturel, multi-générations et LGBT+. Cette empreinte est complétée par un sondage auprès des collaborateurs pour interroger leur perception de la politique diversité et inclusion de l’entreprise. « C’est un peu comme une cellule d’écoute. À partir de ces deux empreintes là, l’entreprise est équipée pour établir, avec Mixity, une feuille de route ».
Ces dernières années, les outils de mesure se sont multipliés sous l’impulsion d’Elisabeth Moreno, alors ministre déléguée auprès du Premier ministre sur ces questions. En novembre 2021, elle lance un Index Diversité et Inclusion. « Certes, l’entreprise ne peut pas « compter » l’origine de ses collaborateurs, mais les individus qui le souhaitent peuvent se mesurer eux-mêmes. C’est dans ce cadre-là que nous avons constitué un questionnaire demandant aux salariés leur lieu de naissance, de résidence, l’origine des parents. Ces questions simples sont posées à des personnes volontaires. Sur les 9 entreprises qui ont participé, nous avons récolté plus de 38 000 réponses en trois mois ». Preuve qu’il est possible de mesurer en impliquant acteurs publics, entreprises et associations. « C’est un triangle vertueux ». Pôle Emploi qui faisait partie des entreprises publiques impliquées s’est ainsi servi de l’indicateur pour améliorer leur politique RH.
Grande démission = grande inclusion ?
« Au-delà de ça, je suis persuadée que l’inclusion est une source de performance économique et sociale », abonde Elisabeth Moreno. « On sait que la plupart des métiers de demain intégreront une composante scientifique ou technologique. Or, seules 30% des femmes se dirigent vers ces secteurs. On va au-devant d’inégalités explosives. Et je ne parle pas des questions de compétitivité ».
« Dans la vie, il faut de tout pour faire un monde. Et dans la pub ? ». « Dans la vie, tout n’est pas blanc ou noir. Et dans la pub ? ». L’univers des médias et de la publicité commence à saisir l’importance de la diversité des représentations culturelles et de genre dans ses productions. En octobre dernier, l’ARPP (autorité de régulation professionnelle de la publicité) initiait une campagne publicitaire visant à encourager une représentation plus juste de la société dans la publicité. Sur TF1, la série à succès Ici tout commence a longtemps mis en scène un personnage non-binaire et pansexuel, s’inscrivant dans le sillage de séries plus anciennes - Plus belle la vie ou Un si grand soleil - qui ont abordé des sujets sociétaux en introduisant des représentations jusque là absentes du petit écran. Un exemple à suivre dans les entreprises.
En effet, une étude de Boston Consulting publiée fin 2021 révèle que les entreprises dont les équipes dirigeantes affichent une diversité supérieure à la moyenne sont 19% plus innovantes que les autres. Leur rentabilité serait également de 9 points supérieure.
Une politique de diversité et d’inclusion qui s’affirme sur la demande des collaborateurs depuis le COVID-19. « On voit bien que depuis, les gens ont une appétence différente au travail, sont beaucoup plus en recherche de sens et de transparence : c’est que permet Mixity, acteur neutre et indépendant, avec la publication des empreintes des entreprises », commente Dominique Crochu. « En fait, s’amuse Elisabeth Moreno, la guerre des talents dont on parle tant est en train d’être gagnée par les talents eux-mêmes. Aujourd’hui, ils choisissent les entreprises dans lesquelles ils veulent travailler. Ils regardent quelles valeurs sont promues. Si elle souhaite attirer les talents dont elle a besoin pour se développer, l’entreprise va devoir accélérer en matière d’inclusion ».
Inclure ou… rester sur le quai
Une exigence qui s’étend aux investisseurs et aux clients, rappelle Dominique Crochu, qui évoque le cas des rapports d’activité des grands groupes qui intègrent désormais des indicateurs de performance économique et… de responsabilité sociale et environnementale. « Aujourd’hui, vous ne pouvez plus piloter votre organisation uniquement sur des indicateurs financiers », renchérit l’ex-ministre. La question n’est donc plus tant de mesurer que d’accélérer pour espérer rester dans la course. « Les clients sont aussi plus exigeants sur la responsabilité sociale des entreprises, poursuit Dominique Crochu. Tout cela concourt à une prise de conscience grandissante du monde de l’entreprise. On le voit d’ailleurs avec l’émergence de métiers autour des sujets d’engagement et d’impact ».
Aux États-Unis, le métier de Chief Impact Officer est ainsi en train de fleurir dans les comités de direction et s’érige en ambassadeur auprès des collaborateurs et du grand public de la politique RSE de son entreprise. En France, il se développe depuis quelques années sous le titre de directeur de l’engagement d’entreprise ou s’incarne dans les fonctions communication groupe au-delà des traditionnels postes RH qui intègrent les sujets d’inclusion. Preuve que la conscience du rôle sociétal et citoyen de l’entreprise se diffuse désormais dans toutes ses strates. Le train est bel et bien en marche !
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25 janvier 2024